Priscilla Benyahia
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A Athènes, Priscilla Benyahia tisse les fils de son héritage culturel

Entre Paris et Athènes, un voyage artistique au croisement des cultures

Une résidence artistique, un nouvel élan créatif

Lorsque l’artiste franco-algérienne Priscilla Benyahia (née en 1999) a découvert l’appel à candidature de la fondation Onassis Steggi sur Instagram pour une résidence d’artistes, elle ne se doutait pas que cela l’emmènerait vers une aventure transformatrice en Grèce. Après plusieurs expositions et une résidence dès la fin de ses études en France à la Villa Arson ( 2023), elle souhaitait prolonger son exploration artistique en terre hellénique. Ne trouvant pas facilement de travail sur place, elle est tombée sur cette opportunité, qu’elle a saisie avec enthousiasme.

« J’avais envie de venir ici pour travailler, avoir du temps, des ressources et surtout être à Athènes, une ville que j’adore. J’aime son ambiance, ses habitants et la facilité avec laquelle on peut y faire des rencontres. »

L’influence du cadre athénien sur la création artistique

Vivre et créer à Athènes est loin d’être anodin. La ville, par son atmosphère vibrante et son histoire millénaire, façonne le travail de l’artiste. Cependant l’influence ne se limite pas à l’environnement matériel. L’artiste puise aussi son inspiration dans les rêves et l’onirique. 

« Mon art me révèle des choses intimes sur moi-même. En expliquant mes œuvres, je découvre de nouvelles dimensions de mon inconscient. »

Jeux de mots et jeux de matières : une exploration linguistique et matérielle

Le langage est un matériau à part entière dans son processus créatif. Bilingue en français et en anglais, avec une maîtrise de l’espagnol et de l’allemand, elle est fascinée par la manière dont un même mot peut prendre des significations différentes selon la culture.

« L’étymologie et les jeux de mots ont transformé ma pratique artistique en une recherche de doubles sens et de significations cachées. »

Son projet, initialement intitulé “Ada & Linda Lovelace”, a évolué  durant la  résidence d’artistes pour devenir “Diary of a Cable Stripper” (Journal d’une dénudeuse de câbles). Il s’agit d’un entremêlement de récits où le mot  anglais « lace » devient un pont entre le geste et l’histoire. 

Durant les Onassis AiR Spring Open Days 2025 Priscilla Benyahia a présenté une oeuvre de chevelure tressée de câbles de cuivre dénudés récupérés un peu partout. 

A travers son travail, l’artiste explore l’évolution du mot « lace » (dentelle), autrefois lié à un tissu fin et ajouré en coton ou en soie, associé aux économies coloniales, le commerce mondial et l’exploitation, puis devenu un verbe décrivant des actions d’entrelacement. 

L’évolution des significations du mot «lace» cristallise les héritages entrelacés de deux femmes, nommées Lovelace : Ada Lovelace, née en 1815, reconnue pour avoir développé en 1843 le premier algorithme publié destiné à être exécuté par une machine, et Linda Lovelace, née en 1949, l’une des premières stars du cinéma pornographique avant de devenir plus tard une militante contre la pornographie. 

À travers une installation mêlant câbles dénudés, tressages et symboles amazighs, Priscilla Benyahia interroge l’interconnexion entre histoire, langage et résistance, rendant hommage aux héritages scientifiques et aux luttes pour la liberté – qu’elle soit individuelle, culturelle ou intellectuelle.

« Bromzzz » : Quand les objets du quotidien deviennent actes de révolte

Priscilla Benyahia interroge la manière dont les objets façonnent notre quotidien et leur dimension politique. Son projet “Bromzzz”, une série de balais inspirés du mythe des sorcières, questionne la place des objets domestiques dans une société qui hyper-domestique le féminin. « Comment ces objets banals peuvent-ils devenir magiques, se transformer en une danse, en une révolte ? »

Recycler le cheveu : un matériau symbolique et universel

Son engagement dans le recyclage l’a conduite à travailler avec Matter of Trust, une association spécialisée dans la récupération des cheveux afin de créer des « matelas », notamment utilisés pour nettoyer les marées noires. Pendant deux semaines, elle a expérimenté la technique du feutrage capillaire, donnant naissance à une sculpture profondément symbolique.

« Le cheveu, c’est la vie, la mort. Les oiseaux l’utilisent pour faire leur nid, et nous le jetons sans réfléchir. Dans l’époque victorienne, il était une relique du deuil. Aujourd’hui, dans un monde marqué par les génocides et l’oubli, je voulais créer un espace de recueillement à travers ce matériau. Mon œuvre est un lit sur lequel repose un symbole kabyle de protection, une manière de rappeler notre humanité commune. »

L’avenir et les conseils aux jeunes artistes francophones

Priscilla Benyahia prévoit d’exposer ses œuvres à Athènes d’ici fin 2025 ou début 2026, un projet ambitieux soutenu par la fondation Onassis Steggi. Elle insiste sur l’importance de créer, malgré les défis financiers et la forte compétition dans le milieu artistique grec. Peut-être au prochain Platforms Projects 2025 ?

« Le plus important, c’est de faire son art. Il n’y a pas beaucoup de financements pour les artistes, mais en développant un réseau et en saisissant les opportunités, on peut avancer. »

À travers son parcours et sa résidence d’artistes à Athènes, Priscilla Benyahia illustre comment un(e) artiste francophone peut naviguer entre défis et opportunités, tissant son propre langage visuel et poétique dans un contexte riche en histoire et en diversité culturelle.

Infos:

L’institut français de Grèce lance un appel à candidature pour la céramique à Rhodes: résidence d’artistes