Christina Anid et les ex-votos
Arts et Culture,  portraits d'artistes

Christina Anid : Exil, Mémoire et Amour métamorphosés en art contemporain

Entre exil, mémoire intime et gestes de réparation, Christina Anid transforme et ressuscite les objets du quotidien en œuvres contemporaines.

Installée en Grèce Christina Anid bâtit une œuvre où l’amour, les objets trouvés et les souvenirs enfouis deviennent matière à métamorphose. Dans son atelier, les restes du passé renaissent en sculptures, collages et installations. Son travail explore la fragilité humaine autant qu’il célèbre la puissance de la reconstruction. À travers ses créations, l’artiste tisse un récit profond : celui d’une identité recomposée, d’une mémoire sauvée et d’un monde intérieur qui se répare en se donnant forme.

Un parcours en archipel : du Liban à la Grèce, en passant par Paris et Madrid.

Christina est née au Liban, mais elle a deux ans quand sa famille fuit la guerre pour s’installer à Paris. Journaliste pigiste, elle écrit sur l’environnement, le théâtre, les voyages, tout en commençant une collection de bijoux à Beyrouth. « Je préparais ma première expo là-bas. Je vivais entre Paris et Beyrouth, et puis un jour j’ai déménagé pour une maison au Pirée, immense, pour le prix de mon studio parisien.” 

La Grèce devient bien plus qu’une étape : « C’est l’équilibre parfait entre l’Orient et l’Europe. Et surtout, c’est un espace où je respire. » À Paris, dans son 20 m² de Montmartre, elle créait « des petits trucs ». « En Grèce j’ai trouvé de l’espace. J’ai commencé à faire ces grandes silhouettes de femmes. »

« Chercheuse de trésors » : chiner dans les brocantes et dans les mémoires

Christina a toujours « réuni ». D’abord avec la photo : « Pour mon travail de journaliste j’ai voyagé dans une quarantaine de pays, et partout, je photographiais les mêmes choses : des ciels, des oiseaux, des racines, des mains, de la rouille. » Elle assemble ces images par couleurs, par thèmes. « Les oiseaux, c’est l’envol, la liberté. Les mains, c’est l’humanité : on les tend, on les donne, on les prend. »

Christina Anid
Quand les livres deviennent des tables

Puis viennent les objets. « Je pars souvent du matériau. Les objets viennent à moi. » Elle hérite de meubles, de téléphones, de figurines kitsch de sa grand-mère. « Je ne peux pas me séparer de ces objets. Mais en l’état, ils ne me ressemblent pas. Alors je les transforme. »

« Ces petites figurines rouges, c’étaient celles de ma grand-mère. Elle les avait sur sa commode, à côté de son parfum N°5. Je ne peux pas m’en séparer. Mais en rose et blanc, ce n’était pas moi. Alors je les ai peintes en rouge. »

Un guéridon en bois foncé devient pop et coloré ; un échiquier en malachite se marie à une table peinte en vert. « C’est une façon de les faire miens, de les garder sans qu’ils m’envahissent. »

Christina aime les  bibelots, les amulettes, ces petits objets porte-bonheur, ces « porte-mémoires ». « Quand je tombe sur un objet qui me touche, parce qu’il est beau, parce qu’il brille, parce qu’il a une âme, parce qu’il fait un joli bruit, je veux qu’il continue d’exister. »

« Je chine partout. Dans les brocantes, mais aussi dans les souvenirs des gens. »

Christina Anid

Des ex-votos ailés s’envolent dans un langage universel

Et puis, il y a les ex-votos. « Sur les brocantes, je tombais sur ces plaques avec des noms au dos. Ça me semblait totalement incongru de pouvoir, moi, acheter une plaque votive, qui avait  appartenu à une autre personne. Mais ensemble, elles racontent une histoire universelle : Tout ce qu’on désire, tout ce dont on a besoin, c’est partout la même chose. L’amour, la sécurité, la santé, la paix. On veut être vu et on prie pour nos morts, on pense à nos morts.. Derrière chaque plaque, il n’y a que de l’amour. » 

Aujourd’hui, les ex-votos connaissent un grand succès. « Les gens aiment ces objets chargés de mémoire. »

Christina Anid

La Grèce, ou l’art de la liberté

C’est sur une plage de Sérifos, un soir d’été, que Christina comprend que la Grèce est son ancrage. « Je me souviens encore du jour où mon père me dit, en rentrant de la plage ; Bon, va te doucher, habille-toi, on va dîner. Et je me dis, je n’ai pas envie de me doucher, je n’ai pas envie de mettre mes chaussures. J’étais en maillot, et il dit, « C’est pas grave, ne prends pas ta douche, ne mets pas tes chaussures, mets ton pareo et on va dîner. » Je me suis dit, c’est ici. C’est pour moi, c’est ici. »

La Grèce a tout changé.  Ici, Christina a trouvé la lumière, l’espace, et surtout cette liberté qu’elle ne trouvait plus à Paris . « Là-bas, tout est normé. Ici, tu peux encore vivre comme tu veux, Aujourd’hui encore, il reste des espaces de liberté. Je conduis mon quad cheveux au vent, tu peux mettre une table dans la rue pour déjeuner, et personne ne t’en empêchera. Tant que ça ne fait de mal à personne…» Ce chaos organisé, ce « bordel humaniste », c’est ce qui l’a attirée. Elle qui a grandi entre Paris, Beyrouth et Madrid, ballottée par les histoires de déracinement de sa famille.

Ces espaces de liberté elle les défend à travers son art où chaque objet, chaque collage, chaque ex-voto est une déclaration d’amour à la vie . « Les ex-votos, c’est aussi grâce à la Grèce,  je les ai trouvés en Grèce. La Grèce m’a donné beaucoup et elle a définitivement changé ma trajectoire en tant qu’artiste. »

 Elle expose dans les îles — Patmos, Serifos… et collabore avec des galeries et notamment la galerie Taxidi à Tinos mais n’est pas officiellement représentée à Athènes ou à Paris.
« Après des années de travail solitaire, le temps est peut être venu de trouver un compagnon de route, quelqu’un qui m’accompagne créativement comme Fadi Mogabgab, le premier galeriste qui m’a exposée à Beyrouth. Il a été un véritable pygmalion comme il en existait autrefois pour les artistes. »

Pourtant, tout va bien pour elle « Depuis l’exposition rétrospective à l’Ambassade de France en 2022, les gens viennent me voir. » Elle aime les commandes personnalisées : « Plonger dans l’univers des autres  me sort de moi-même, de ma solitude d’artiste « 

La rencontre qui marque un parcours : Claire Berest

Christina se souvient de cette jeune femme sur une plage, il y a cinq ans, qui lui dit : « Vous me faites penser à Frida Kahlo ». Et lui offre le livre que Claire Berest a écrit sur l’histoire de Frida Kahlo et Diego Riviera. C’est un véritable coup de foudre pour la romancière française, figure majeure de la littérature contemporaine.

En 2022, lors de sa grande rétrospective à la Résidence de France en Grèce, Claire Berest découvre, à son tour, l’œuvre de Christina et lui consacre, pour le catalogue de l’exposition, un texte, viscéral et puissant.

Mémoire et exil : des thèmes intemporels

L’art de Christina Anid est traversé par l’exil et la quête de racines, des thèmes qui résonnent avec son histoire personnelle et avec notre époque.

« Mon grand-père hongrois a fui son pays à 12 ans. Ma grand-mère grecque n’a jamais vécu en Grèce. Elle vivait au Caire et ma mère a grandi au Caire. Mon père est libanais, nous avons fui la guerre au Liban. »

« Aujourd’hui, des millions de gens vivent cette expérience du déracinement. Mon travail parle de cela : comment se reconstruire, comment garder des traces »

Ses silhouettes de femmes, ses ex-votos, ses collages sont des « cartes de mémoire ». Les ex-votos, ce sont les mêmes vœux, partout dans le monde. En les assemblant, elle symbolise tout ce qui nous unit malgré l’exil.

« Les gens me confient leurs livres, leurs souvenirs, et je crée une table ou un collage avec ces objets. Comme une journaliste je recueille leurs histoires, et je les transforme en art. »

L’art comme acte de survie

« Mon désir profond, c’est de retenir le temps qui passe, de rassembler les souvenirs, comme une tentative désespérée de ne pas disparaître, de ne pas voir ma famille disparaître, mes souvenirs disparaître, le passé disparaître » Dans son atelier, des milliers d’images l’entourent. « Pour qu’elles ne disparaissent pas. Pour qu’elles restent là, autour de moi, parce qu’elles me font du bien, parce qu’elles me semblent belles ou confortables ou inspirantes.»

Christina Anid

Christina travaille sur un nouveau projet, un nouveau matériau , « La Robe du Temps ». Un thème qui lui est cher .Christina tient dans ses mains un lot de pièces de montres anciennes, trouvées sur une brocante il y a des années.

« Chaque pièce est une trace du passé, un fragment de vie. Je veux les rassembler pour dire : Regardez, tout cela existe encore.  Je veux que les objets blessés deviennent des éclats de mémoire. »

Comme avec « La robe du temps », Christina transforme les fragments du passé en une œuvre vivante. »: c’est une métaphore de son art tout entier. Un acte de survie, d’amour et de liberté.

Christina Anid
Une cuisine toute en Joie

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