« L’enfant sauvage » de Bruno Castan, mis en scène par Marie-Provence et interprété par la Compagnie 7ème ciel, suit les traces du succès de « Ballet Bar » auprès du public de Téhéran.
Sollicitée par le Fadjr Festival afin de proposer une sélection française pour sa 33ème édition, ACC&S a misé sur un spectacle dans lequel langage des corps et émotion doivent pallier l’absence de sur-titrage.
A priori un peu risqué, le défi a été relevé avec succès.
Un décollage pour Téhéran plutôt téméraire.
Début janvier 2015, une atmosphère de deuil pèse sur la France. Des manifestations s’élèvent dans le monde entier au cri de « je suis Charlie » ou « je ne suis pas Charlie ». Le 19 janvier, 3000 manifestants menacent l’ambassade de France de Téhéran. En dépit de cette ambiance inquiétante, ACC&S et la Compagnie de théâtre 7ème ciel décident, à l’unanimité, de s’envoler pour Téhéran. ACC&S a pris en charge la résolution de nombreuses questions avec le Festival Fadjr, en particulier le financement et les demandes de visas en extrême urgence. Quelques jours avant notre départ nous apprenons que des modifications doivent être apportées à la mise en scène. En vertu de la loi islamique, un homme et une femme qui ne sont pas mariés dans la vie civile, ne peuvent avoir de contact physique sur une scène de théâtre. Or le coeur du sujet de « l’enfant sauvage » réside dans l’amour maternel qu’offre, sans limites, Madame Guéret ( interprétée par Sonia Pintor) à cet enfant sauvage privé de la parole. ( Flavio Franciuli)
Nous sommes sur le point de renoncer à ce voyage.
A 24 heures du départ, la passion du théâtre, le désir profond de ces rencontres lointaines et improbables stimulent la créativité des comédiens qui multiplient les propositions de jeu afin de s’adapter à la censure.
Tard dans la nuit nous décidons de confirmer la réservation de nos billets d’avion .
Damien Thillé, régisseur ,accompagné de Flavio, magnifique comédien et acrobate brésilien, partent en « éclaireurs » afin de vérifier la construction et la solidité de la structure du décor . Le travail effectué par les décorateurs du festival s’avère remarquable.
Une première réussie mais à parfaire.
Nous arrivons à l’hôtel réservé pour les festivaliers à 4 heures du matin. La première représentation est prévue le soir même à 20 heures. La fatigue est palpable.
Les heures de réglages du son et de la lumière sur des consoles obsolètes, le contrôle de la commission de censure ne tolérant que de brefs effleurements, les costumes à réinventer, deviennent des enjeux difficiles. Mais la volonté de jouer ne fléchit pas. La bienveillance des organisateurs s’évertuant à satisfaire toutes nos demandes nous apporte un appui précieux. Et la caverne d’Ali Baba du théâtre recèle des trésors…
Dès la première, la salle de 650 places est pleine. Le théâtre doit, hélas, refouler du public à l’entrée.
La promesse de la direction exécutive du festival de distribuer le synopsis de la pièce traduit en farsi n’a malheureusement pas été tenue.
Et pourtant les 80 minutes de spectacle emmènent le public dans l’histoire de cet «enfant sauvage » venu de France. Déjouant l’épineux problème de la langue, la poésie du spectacle, son propos et son intensité dramatique n’échappent en rien au public fasciné .
Et la magie opère
Le lendemain, pendant que j’assiste à la représentation du spectacle représentant l’Allemagne, la compagnie se consacre à de nouvelles mises au point. Marie-Provence a décidé que « son enfant » marquerait pour longtemps la mémoire de Téhéran.
La deuxième représentation du « Wild Child » prend une dimension émotionnelle particulière. La communion avec le public est intense. La réinterprétation due à la censure métamorphose les élans de Madame Guéret en suspens suscitant quelques rires complices. Le public n’est pas dupe. Les comédiens sont emportés par un élan de générosité sans limites. Les ingénieurs lumière et son (Damien Thillé et Etienne Fortin) déjouent les défaillances matérielles. La salle comble, suspendue aux souffles de « l’enfant sauvage », partage le désarroi du Docteur Villeneuve ( Mathieu Bonfils), la perplexité de Bonnefous ( Philippe Levy) et la tendre ténacité de Madame Guéret ( Sonia Pintor).
De jeunes iraniens aux yeux rieurs et au sourire éclatant nous retrouvent à la sortie du théâtre. Ils nous tendent la main, nous hésitons, ils s’en amusent.La jeunesse de Téhéran serre donc les mains des étrangères en public. Ils ont assisté aux deux représentations, nous échangeons des points de vue au sujet du film de François Truffaut. Nous nous sentons heureux et bienvenus, bien loin d’une quelconque menace relative à notre nationalité.
Le grand metteur en scène iranien Ghotbedin Sadeghi vient féliciter les comédiens dans leur loge.
Plus tard, à l’hôtel, une soirée musicale improvisée mêle Brassens, les chants catalans et la musique traditionnelle iranienne. Mathieu ose un timide « Gare au Gorille », Sonia chante à capella. Nous nous perdons un peu dans les règles de la loi islamique.
Visite guidée sous contrôle et soirée Shakespeare
Notre séjour à Téhéran se révèle bien trop bref. Mais d’autres obligations nous attendent en France. Notre dernière journée est consacrée à la visite du Golestan Palace, de la chambre forte de la banque Melli qui renferme les Joyaux de la Couronne ( le plus célèbre, le Daria-e Nur, un diamant de 182 carats, ramené de Delhi, au XVIIIe siècle, un globe terrestre comprenant 51 000 pierres précieuses et la couronne des Pahlavi fabriquée en 1924 qui réunit plus de 3 000 diamants, émeraudes et saphirs).Nos achats se limitent plus modestement aux pistaches fraîches dans les souks. Notre guide interprète, la dévouée Areezo nous accompagne de sa patience exemplaire. Nous nous sentons certes frustrés de ne pas avoir la possibilité de nous éloigner de plus de 100 mètres lorsque nous parcourons les rues. Nous voulons rencontrer des iraniens. Mais nous respectons scrupuleusement les consignes.
Le hall de l’hôtel s’avère être le lieu dédié aux rencontres avec les autres compagnies, venues d’Arménie, d’Oman ou d’ailleurs.
Durant notre dernière soirée nous assistons, en hôtes privilégiés, à une représentation en farsi de Macbeth, mis en scène par une jeune compagnie iranienne.
Une forme de dialogue à développer sans limites
L’objectif de ACC&S, de même qu’en 2014, est de nouveau atteint. Les mots « dialogue interculturel » et « rencontres interculturelles » contiennent en Iran, en 2015, une symbolique forte. D’une part parce que ces mots, objectifs clefs de l’association, sont difficiles à mettre en oeuvre à titre individuel lors d’un festival d’une telle dimension, dépendant de l’état. Il est clairement exprimé que les compagnies ne peuvent quitter l’hôtel sans leur accompagnateur officiel, eût-il les traits d’une jeune et ravissante interprète.
D’autre part la barrière de la langue existe.( Même si certains iraniens s’expriment assez bien en anglais et souvent étudient le français en deuxième langue étrangère.) C’est pourquoi le langage théâtral, dès lors que les clefs de compréhension en sont donnés, s’avère un extraordinaire vecteur de lien et de partage. Le public iranien exprime clairement son désir de rencontres avec la culture européenne et tout particulièrement avec la scène artistique française.
Au nom de ACC&S et de ses objectifs je me réjouis par avance des prochaines représentations théâtrales françaises qui pourront être jouées en Iran.
Viviane Bonnier